Le goût du beau
En 2010, sous la houlette d’un groupe de chefs et de gastronomes, le « repas gastronomique des Français » a fait son entrée au patrimoine immatériel de l’humanité. A travers cette distinction, l’UNESCO reconnait l’excellence de la France en matière culinaire et montre que le partage d’un moment autour d’une table est un marqueur identitaire.
Mais si la gastronomie, théorisée par Brillat-Savarin au XIXe siècle, est l’art de la bonne cuisine, elle n’est rien sans les rituels et éléments de service. Ceux qu’on appelle les « arts de la table » subliment le talent du chef et offrent au repas un véritable supplément d’âme.
Dès le Moyen-Âge, alors que couverts et vaisselle n’existent pas, les repas répondent déjà à une certaine codification. Les rites de service et les manières à table se mettent peu à peu en place pour atteindre des usages très normés et voir le développement d’ustensiles tout au long de la Renaissance, en bois pour les plus modestes, en argent ou or pour l’aristocratie.
Ainsi en est-il de la fourchette, adoptée par les nobles au XVIe siècle pour s’alimenter sans tacher ni robe ni collerette. Le raffinement apparu au fil des siècles connait son comble sous le règne de Louis XIV.
En effet le Roi-Soleil encourage le raffinement et l’opulence, affichant ainsi la richesse du royaume et le savoir-faire de ses artisans d’art. Des orfèvres de la région parisienne aux grandes cristalleries de Lorraine en passant par les porcelainiers à Limoges, ces fleurons de la manufacture font aujourd’hui encore référence.
Vitrines d’un artisanat d’art que le monde entier nous envie, elles pratiquent l’excellence et embellissent les tables des plus grands restaurants comme celles des particuliers.
A partir de la fin du XIXe siècle, l’ostentation a laissé la place à un nouvel art de la table, au gré de la mécanisation dans la fabrication des articles mais aussi d’habitudes sociales de plus en plus informelles. Au classicisme extrêmement codifié a succédé un style certes moins sophistiqué, mais toujours guidé par la volonté d’inventer les ambiances et les instruments qui mettent en valeur la bonne chère.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit au premier chef : en sublimant le décor, les arts de la table enchantent le moment. Occasion unique de faire une bonne première impression, le mobilier, la décoration florale et le dressage des tables font vivre l’espace et reflètent un style : atmosphère feutrée d’un étoilé, classicisme belle époque d’un bistrot parisien, convivialité d’une brasserie…
Ainsi, dans le milieu de la restauration, ces intentions prennent une importance toute particulière. A chaque établissement de trouver son style pour développer une identité particulière ou jouer sur l’inattendu. Le chef et son maître d’hôtel élaborent ensemble un univers, dans une vision à la fois esthétique et utilitaire.
Soyeux d’une nappe, finesse du buvant d’un verre, texture d’une tasse, forme d’une assiette, douceur de l’éclairage : chaque détail est pensé pour stimuler les cinq sens dans une expérience globale. Certains chefs se démarquent en bousculant les habitudes, stimulés par l’infinie variété suggérée par les créateurs dans les matières comme les formats.
D’autres tables vont jusqu’à s’affranchir totalement des conventions en proposant de véritables mises en scènes théâtrales qui font leur identité.
David Charrier, chef étoilé des « Belles Perdrix de Troplong Mondot », a quant à lui fait le choix de l’élégance discrète. Couleurs neutres, pureté des lignes, effets de matière, tout concourt à exhausser le contenu de l’assiette, qui demeure l’élément central. Dans une cuisine au renouvellement permanent, les arts de la table jouent le rôle de révélateur alors que le plat est la star.
En s’accordant à toutes les inspirations, de l’amuse-bouche au dessert, la vaisselle concourt à rendre l’assiette lisible, faisant la part belle à son contenu. C’est là que repose la créativité du Chef.